Le Luxe

‘Notre pays Batave est tellement petit que nous n’avons pas notre climat à nous’, je faisais remarquer à mon psy, l’autre jour.

Il s’est bien habitué à mes cafards. Mais cette remarque avait pour lui un air de nouveauté.

‘Le plus souvent nous sommes sous le temps anglais,’ je continuais. Parfois le temps allemand. De temps en temps on est couvert par un anti-cyclone français… pas trop souvent, hélas. La Belgique a le même problème, l’autre jour j’étais surpris d’entendre par la radio flamande qu’un orage s’approchait par la Manche, du côté de l’Albion perfide. Pourquoi n’arrêtons- nous pas nos services nationales de météo et ne donnons-nous pas à  tous un nouvel imper? On pourrait voir arriver le temps de loin en regardant le radar et les chaînes étrangères. Ainsi on pourrait prendre nos dispositions.’

‘De ton côté, toujours du neuf mais rarement du bien’ disait Dr. Fruit, ‘ça confirme ma présomption de l’autre jour: tu as un problème d’identité. Courage, mon vieux, parle-moi un peu de ton enfance’.

‘Arrêtez surtout de parler de mon enfance,’ je répondais. Notre pays est trop petit, il faut l’accepter. Je me sens perdu, après avoir demeuré partout dans le monde tout en parlant la langue locale. Je n’arrive plus à réintégrer ma langue maternelle. De surcroît, notre pays est tellement petit que nous n’avons plus même notre langue à nous! On parle le Néerlandais pur encore en Flandres, mais ici il s’est tourné en dialecte anglais. En fait, il y a très longtemps que nous avons eu une langue à nous, ça s’appelait le‘Bas Allemand’, il y en a des traces encore comme le mot überhaupt. Des centaines de mots, comme parapluie et portemonnaie, tombaient d’un anticyclone français pendant la belle époque de notre tout premier roi bien aimé, Louis Napoléon. Il nous aimait bien. C’est dû à  nos pluies incessantes et notre amour d’argent, ça s’entend. Depuis la Seconde Guerre Mondiale on est sous l’influence de la langue anglaise: une dépression qui flottait vers notre pays à travers l’Atlantique dès l’Amérique, via l’Albion perfide donc. Ce n’était pas possible avant, à cause de la guerre des Boers. Ici on n’a pas du tout aimé cette guerre. Ces Boers sont nos cousins, quoi. Maintenant, on attend le Péril Jaune. Dans les années 1930, Louis-Ferdinand Céline en avait  déjà averti tout le monde. Encore un Louis, donc.  Mais à cette époque intervenait une méchante perturbation de l’Est. Céline n’y avait pas compté, avec ces Nacht und Nebel. Actuellement, notre langue est tellement envahi par l’Anglais qu’ici, bientôt, on parlera officiellement ‘Le Polder’s English’. Mon fils dit ‘piece of cake’ où mon père en son temps disait encore ‘simple comme bonjour’ et pour lui c’était du Néerlandais pur.

Le docteur Fruit n’avait jamais quitté la ville de Gouda et ne mangeait que son propre fromage, un des trois que nous avons à notre disposition ici. J’ai arrêté les consultations.

Je vais me reposer à Lyon, chez mon fils français et ma belle-fille française. Ils vont me gâter. En France il existe 513 fromages. Les deux cuisinent, spécialement pour moi, des tous petits petits-fours avec de la poudre d’or dessus. Époustouflé, je demandais à ma belle-fille pourquoi – en Hollande on ne met pas de la monnaie sur les friandises – et elle repondait: “Le Luxe”.  Ouff, comme je respirais!

 

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